Biographie

Pierre Emmanuel Barbaud est né le 10 octobre 1911 à Saint-Eugène, dans la banlieue d’Alger. Son père, Alexandre, est astronome à l’observatoire d’Alger à Bouzaréah. Il est l’aîné de quatre enfants.

De retour en France en 1916, la famille vit aux Andelys (Eure) jusqu’en 1919, période dont il garde toute sa vie un souvenir vivace et reconnaissant. Il prétendra même être né dans cette ville (Lettre du 8 octobre 1972 à Melle Han, Editions Dunod : « BARBAUD (Pierre), compositeur, Français, né aux Andelys (Eure), un matin à 21h30. » Le compositeur, bon latiniste, se présente souvent dans ses lettres sous le nom de Petrus Barbaldus Andeliensis.) Il se passionne pour la botanique et l’entomologie.

Entre les deux guerres, les Barbaud s’installent à Robinson (Hauts-de-Seine) (à partir de 1926 environ). Après son baccalauréat au lycée Lakanal à Sceaux, où il tisse des amitiés solides avec quelques camarades, Pierre fait ses études de lettres classiques à la Sorbonne parallèlement à des études de piano et de composition avec Alexandre Tchérepnine (1899-1977) au Conservatoire Russe de Paris.

En 1939, il est mobilisé puis démobilisé en 1940. Au cours d’une permission en juin 1940, il épouse Lucie Caroline Eisenhardt, danoise d’origine italienne (Montefalcone, 1914 – décédée à St Cloud le 20/7/1989). Ils choisiront de ne pas avoir d’enfants.

Autodidacte

En 1943, il occupe un poste de bibliothécaire au Département Musique de la Bibliothèque Nationale sous la direction du musicologue médiéviste Guillaume de Van (de son vrai nom William Carrolle Devan (1906-1949), musicologue d’origine américaine, fondateur du chœur des Paraphonistes de St Jean des Matines en 1936 avec l’abbé Ducaud-Bourget et réalisa une vingtaine d’enregistrements d’œuvres datant du 13e au 16e siècle.) auquel il voue une grande admiration. Il y consulte abondamment les traités théoriques anciens et contemporains. Il y rencontre aussi Roger Blanchard qui, à l’époque, dirige un chœur professionnel. Il reste à ce poste jusqu’en 1947.

Pierre Barbaud est nommé professeur de musique à l’Institut National des Sports, où il réalise et fait chanter de nombreux arrangements de chants traditionnels ou non (dont un arrangement pour double chœur de L’Internationale) et, la charge n’étant pas très lourde, complète l’ordinaire par des traductions (danois, allemand, et italien) et des chroniques musicales dans un hebdomadaire féminin (Elle) sous le pseudonyme de Claude Emmanuel. Il poursuit ainsi une carrière de compositeur commencée quelques années plus tôt (Quatuor à cordes en 1941, Concertino da camera en 1944, Six pièces pour piano en 1946, Symphonie « Carmen », un deuxième Concertino da camera et Deux pièces pour piano et ondes Martenot en 1947). Ces oeuvres sont, le plus souvent, de style néo-classique et les titres font penser à Satie : Cinq minutes de mauvaise musique (1949), Prélude pouvant également servir de postlude (1950).

Premières musiques de film

Ses premières musiques de film datent de 1948 (Sport et parapluies, André Michel et Malfray, Alain Resnais). Cette activité s’intensifiera dans les années cinquante au point de constituer sa principale source de revenus. Il compose la musique de films de cinéastes aujourd’hui reconnus comme Chris Marker (Dimanche à Pékin en 1957, Lettre de Sibérie en 1958), Alain Resnais (Le mystère de l’atelier 15, 1957), Agnès Varda (La pointe courte, 1955). Il poursuit parallèlement une intense activité d’autodidacte, en particulier dans le domaine de l’arithmétique et du calcul des probabilités. Il suit aussi les cours de statistique de G. Th Guilbaud qui est l’un des principaux promoteurs, en France, avec Léon Brillouin, Louis Couffignal et Abraham Moles, de la théorie cybernétique élaborée peu de temps auparavant aux Etats-Unis lors des célèbres Conférences Macy.

Musique algorithmique

C’est au milieu de l’année 1958, vraisemblablement, il a l’idée d’utiliser le calcul des probabilités pour alléger les contraintes de ce travail harassant. Il s’associe dès 1958 avec son ami Roger Blanchard, et Janine Charbonnier, pianiste et compositeure, qui est l’épouse de Georges Charbonnier, producteur d’émissions culturelles à la RTF. Plusieurs personnalités s’intéressent à ses travaux comme le linguiste Brian de Martinoir et le Dr. Rœsch, directeur-adjoint du CREDOC.

Ils fondent le Groupe de Musique Algorithmique de Paris (GMAP) sous l’égide duquel ils présentent le premier concert de musique algorithmique dans le cadre d’un festival d’art au Musée Rodin à Paris à la fin du mois de juin 1959. A cette occasion se joindront au groupe le compositeur Lalan et Brian de Martinoir pour un programme centré autour de thèmes animaliers. La première partie de ce concert est consacrée à des œuvres chorales de la Renaissance dirigées par Roger Blanchard. La seconde aux œuvres contemporaines du GMAP (Souvenirs entomologiques, 1959).

A cette époque, quelques artistes d’avant-garde avaient coutume de se réunir autour de Myriam Prévôt et Gildo Caputo qui tenaient une galerie d’art, la Galerie de France, sur l’île Saint-Louis. Autour de la table, les habitués sont Pierre et Lucie Barbaud, Janine et Georges Charbonnier mais aussi des peintres comme Zao Wou Ki ou Gustave Singier. Cette période assez brève fut pourtant fondatrice pour Pierre Barbaud, parallèlement à l’apprentissage de la « science informatique » qu’il poursuit à la Compagnie des Machines Bull, place Gambetta à Paris. Les œuvres de cette époque sont d’abord calculées à la main puis à l’aide de programmes réalisés sur un ordinateur « Gamma 3 » puis sur un « Gamma 60 ». Ce seront : Souvenirs entomologiques (1959), Factorielle 7 et Imprévisibles nouveautés (1960), Réseau aérien pour un poême radiophonique de Michel Butor (1962), Nonetto in forma di triangolo, Algom 3 (1964). Néanmoins, Roger Blanchard se détache du groupe assez vite pour poursuivre sa carrière de chef de chœur. Quelques œuvres vont encore voir le jour en collaboration avec Janine Charbonnier comme La Varsovienne (1965).

Les années BULL

Ainsi, de 1959 à 1975, le compositeur se fait une place dans les locaux de la Compagnie des Machines Bull, qui devient Bull General Electric en 1964, puis Honeywell Bull en 1970 et enfin CII Honeywell Bull en 1975. Admis à titre gratuit par Jean Esmein, le directeur du tout nouveau Centre de Calcul, à utiliser le calculateur disponible au siège de la société, Pierre Barbaud participe à la promotion du groupe sous la forme de conférences, en interne ou à l’extérieur, ou de concerts. Pierre Barbaud n’est rémunéré à titre exceptionnel et en tant que consultant qu’à partir de 1968. Il se situe, à cette époque, au cœur d’une rivalité étrangère, en principe, au monde artistique mais qui deviendra révélatrice d’une certaine politique de l’art en France à cette époque : en 1961-1962, Iannis Xenakis achète du temps de calcul à la compagnie IBM pour réaliser la série des œuvres ST/48, ST/10 et ST/4. Cette rivalité se déplacera ensuite sur le terrain médiatique, mais Pierre Barbaud entretiendra toujours avec le compositeur d’origine grecque des relations courtoises.

A cette époque, son travail est proche de ce que réalise Véra Molnar en peinture. Il collabore aussi fréquemment avec le compositeur et chef d’orchestre Pierre Mariétan.

Les années INRIA

Les difficultés financières de la CII Honeywell Bull auront raison de cette participation et le compositeur usera de ses connaissances pour trouver, à l’Institut de Recherche en Informatique et Automatique (I.R.I.A. devenu, en 1979, l’I.N.R.I.A.), une situation proche de celle qu’il quittait. Il y est chef de projet et s’entoure de deux collaborateurs, l’informaticienne Geneviève Klein et l’ingénieur électronicien Frank Brown. Comme une sorte d’écho au GMAP des années soixante, ils fondent le groupe BBK (pour Barbaud Brown Klein) qui signera collectivement presque toutes les œuvres à partir de ce moment.

Les années INRIA sont aussi celles des œuvres sur bande dotées de titres en latin. Ce seront Terra ignota ubi sunt leones en 1975, Vis terribilis sonorum en 1976, Saturnia Tellus (commande de l’Etat) en 1980.

Jusqu’au bout, Pierre Barbaud poursuit son travail à l’INRIA. Mais profondément affecté par le décès de son épouse Lucie, il abandonne rapidement toute activité et décède à son tour au début de l’hiver 1990.